À qui pourrait profiter l’émergence d’un marché du cannabis thérapeutique en France ? La première chose dont on peut être certain, c’est qu’il ne s’agira pas d’entreprises françaises. La France dispose en effet d’une législation très restrictive en matière de cannabis : l’interdiction de la production, de la détention et de l’emploi des plants de cannabis rend illégaux les produits contenant du cannabidiol (pourtant non inscrit sur la liste des stupéfiants) extrait de la plante de cannabis. Les tiges et les fibres de certaines variétés de chanvre, dont la teneur en THC est inférieure à 0,2 %, peuvent être exploitées, mais l’utilisation des fleurs interdite.
Conséquence de cette législation : bien que notre pays soit le premier producteur de chanvre d’Europe, aucune entreprise n’est à ce jour en mesure d’investir le marché du cannabis thérapeutique. À l’étranger en revanche, les pays qui ont autorisé le cannabis thérapeutique ont vu émerger des « champions nationaux », capables d’une production respectant les procédés de fabrication : les canadiens Canopy Growth (plus de 220 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019), Tilray (plus de 150 millions) et Aurora (près de 300 millions), le néerlandais Bedrocans, les américains Columbia Care et Clever Leaf…
Ce secteur a attiré des investisseurs parfois étrangers au monde du médicament. Le groupe Constellation Brands (qui brasse la bière Corona) possède ainsi 38 % de Canopy Growth. Le cigarettier Altria a quant à lui pris une part de 45 % du capital de la société de cannabinoïdes Cronos. De même les brasseurs AB InBev et Molson Coors ont respectivement signé des accords de partenariat avec respectivement Tilray et la société de production de cannabis thérapeutique Hydropothecary. Enfin, les producteurs de tabac Imperial Brands ont investi dans Oxford Cannabinoid.
Bio et hors sol
Quel sera le niveau d’exigence qui va s’appliquer à ces compagnies ? On ne sait pas exactement quel sera le contenu du cahier des charges qui sera publié par l’ANSM vers la fin du mois de janvier. Selon l’agence, c’est sa Direction des contrôles (CTROL) qui sera en charge de s’assurer de la qualité des produits et des taux de THC et de CBD. À l’instar de ce qui a été fait ailleurs en Europe, la France devrait donc imposer aux producteurs de cannabis thérapeutique les bonnes pratiques de fabrication des médicaments à usage humain.
Ces règles très strictes impliquent notamment que le contenu en principe actif soit le même dans tous les lots, ce qui pose des difficultés pour les fleurs de cannabis séchées. « Pour nous assurer que toutes les fleurs issues d’une parcelle donnée présentent le même ratio CBD/THC, nous devons les cultiver hors sol, dans des serres dont nous contrôlons la luminosité, les intrants, le taux de CO2, l’eau, énumère Hélène Moore, directrice d’Aurora en France. L’emploi de pesticides est interdit dans le cannabis thérapeutique, nous utilisons donc des insectes pour protéger les plantes. »
De tels moyens ont un tel coût que, pour l’heure, le marché du cannabis thérapeutique n’est pas rentable. « Le marché européen est très régulé, explique Hélène Moore. Le système de distribution canadien a été également fortement restreint par le gouvernement. Les investisseurs ont commencé à perdre patience, les valorisations boursières s’en sont ressenties fin 2019 ».
Selon le Pr Nicolas Aultier, qui a présidé le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) de l’ANSM : « si le cannabis médical est autorisé après cette expérimentation dans les cinq indications retenues, on peut estimer pour l’instant à quelques dizaines de milliers de patients concernés chaque année. »
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