C’est l’un des plus grands paradoxes des pharmacies d’officine, elles abritent un volume considérable de données que d’aucuns considèrent comme un trésor, mais l’exploitent peu, et n’en profitent guère. C’est d’autant plus troublant qu’elles ont pourtant les moyens, au moins en partie, d’en tirer profit, et d’autant plus gênant pour l’avenir que beaucoup estiment la révolution numérique en cours et à venir liée à l’exploitation et la valorisation de ces « datas » pour leur permettre de mieux asseoir à la fois leur rôle de professionnel de santé dans le parcours de soins des patients et de faire face à la concurrence commerciale du Web.
La principale explication apportée à ce paradoxe est le manque de temps, peut-être d’intérêt aussi, à cette activité que pourtant les éditeurs de LGO se targuent de faciliter au mieux. Car l’essentiel des données qu’utilisent les pharmaciens est géré et abrité par les LGO, un état de fait incontournable pour l’exploitation des données. Et pourtant, les éditeurs de LGO reconnaissent l’usage pour le moins limité de ces fonctionnalités qu’ils proposent aux pharmaciens. Une autre explication peut être cherchée du côté de la diversité croissante des sources de données, certes le LGO est incontournable, mais entre les grandes bases de données médicamenteuses, le DP et le DMP, les outils proposés par les groupements, les coopératives, les start-up, qui eux aussi émettent des données lesquelles, transitent par la pharmacie ou sont susceptibles d’être directement utilisées par elles, le pharmacien peut ressentir une forme de confusion face à l’usage multiple et parfois désordonné de toutes ces « datas ».
Rendre la donnée productive.
S’il veut mieux exploiter ses données, le pharmacien doit d’abord se poser la question de savoir pour quoi faire. Comme pour toute décision importante, les objectifs et la stratégie de l’officine doivent être clairs. Est-ce dans une perspective purement commerciale avec une politique de fidélité par exemple ? Est-ce pour mieux communiquer avec ses clients et ses patients au travers d'une newsletter ? Est-ce pour identifier des patients éligibles à telle campagne nationale de santé ? « L’intérêt pour les pharmaciens est de disposer de datas contextualisées », pose ainsi Hélène Decourteix, fondatrice de La Pharmacie Digitale.
D’une manière générale, ces objectifs pourraient être divisés en deux, d’un côté, la stratégie commerciale et de l’autre, celle visant à apporter plus de services aux patients. C’est peut-être un peu schématique, mais la différence de nature est essentielle puisque dans le second cas, la donnée utilisable est la donnée de santé, donc très encadrée au plan réglementaire. Pour ce qui concerne l’aspect plus commercial des données, cela fait longtemps que les pharmaciens ont des outils pour exploiter les données pour améliorer leurs performances. « La question qu’il faut néanmoins se poser est de savoir si on peut gagner de l’argent avec ces données », affirme Thomas Brunet, pharmacien d’officine et co-fondateur d’Apodis Pharma, spécialiste de solutions collaboratives. « Il y a beaucoup d’argent derrière la data, mais nous considérons que l’objectif pour le pharmacien n’est pas tant de la vendre, que de la rendre productive. » D’où le positionnement d’Apodis qui a développé un logiciel pour récupérer les données notamment liées à la gestion des approvisionnements afin de les rendre plus performantes. Basé sur la norme Pharma ML, il permet d’alerter quand un grossiste n’a pas le produit et d’aller chercher ce dernier directement auprès du laboratoire. De nombreux acteurs se sont positionnés pour donner aux datas des pharmaciens une profondeur et une valeur plus importante à une échelle supérieure, en les agrégeant. C’est l’objectif de spécialistes des analyses de données, comme Iqvia Pharmastat, Ospharm, Offisanté…
Suivi d’observance, entretiens pharmaceutiques…
Mais la grande affaire du moment est celle des données de santé dont la gestion permet et permettra d’apporter un service plus adapté, personnalisé aux patients et de cette façon d’aller dans le sens de l’histoire, celle des nouvelles missions du pharmacien. Tout le monde y va. Apodis par exemple, y travaille en proposant la possibilité de définir un calendrier vaccinal en identifiant les patients éligibles. Les éditeurs de LGO sont positionnés sur ce créneau depuis longtemps, ne serait-ce qu’à travers les fiches patients que leurs logiciels génèrent. Mais aussi via des modules spécifiques, à l’image de Winpharma qui permet aux pharmaciens de cibler les patients éligibles à des entretiens pharmaceutiques ou à une vaccination. « Le message apparaît au moment de la facturation », explique Camille Girard, responsable marketing et communication de Winpharma, d’où la possibilité de proposer ces services au patient. « Le pharmacien peut aussi faire des requêtes pour la vaccination. »
L’éditeur est aussi en phase avec les grandes campagnes de santé nationale durant lesquelles les pharmaciens peuvent proposer des produits complémentaires dans le cadre d’une pathologie donnée, ou des campagnes générées par le pharmacien lui-même, auquel cas, il devra paramétrer l’outil. Idem chez Pharmagest qui propose à travers le LGPI, outre l’historique de ses fiches patients, un logiciel de suivi d’observance. Opérationnel depuis plusieurs années déjà, l'outil est capable de détecter des profils pour proposer différents services, parmi lesquels les entretiens pharmaceutiques. Les start-up sont nombreuses sur ce créneau, à l’image de Starlink Pharma dont l’application conseil santé est partagée par le pharmacien et son patient, le premier peut envoyer des messages et des informations régulières. Un exemple parmi beaucoup d’autres…
Le consentement du patient.
Mais pour que l’exploitation de ces données puisse se faire, il faut respecter de nombreuses conditions. Tel est le point de vue de Jean-Michel Monin, Directeur activité pharmacie France de Pharmagest. À commencer par l’obtention du consentement du patient, étape indispensable à toute saisie de donnée le concernant, car, rappelle Jean-Michel Monin, « il en est le propriétaire, le pharmacien n’en est que le dépositaire ». L’éditeur propose pour ce faire un boîtier conçu par Kapelse où la signature du patient est enregistrée, à l’image de ce qui se fait avec Chronopost. Le pharmacien est ainsi déchargé de l’acte administratif. D’une manière générale, le dirigeant rappelle l’importance du respect de la réglementation autour des données de santé, et notamment tout ce qui concerne leur sécurité. Un sujet étrange finalement car il n’est pas un seul acteur impliqué dans la gestion de données de santé à rappeler cette réalité incontournable en s’abritant derrière l’assurance d’un hébergement de ces données conforme à ce que réclame la réglementation française et aussi derrière le respect du très fameux RGPD. Ce qui peut en effet rassurer les pharmaciens. Mais ça ne résout pas tout. Bien des pharmaciens disposent parfois de matériels obsolètes tournant sur d'anciennes versions des OS de Microsoft, d’où un vrai danger en matière de sécurité, estime ainsi Jacques Perche, Directeur général de Starlink Pharma, « nous les hébergeons donc conformément à ce que réclame la loi, et de fait, ces données ne sont pas interopérables avec les LGO. »
La sécurité, mais aussi le fait pour bien des start-up de cibler d’abord le patient à qui revient la liberté de partager ou non ses données, comme le fait par exemple Innovsanté avec son Passcare, un passeport numérique, conduit inévitablement à fragmenter ces données de santé d’où, pour l’instant, des données peu interopérables entre elles. Ce qui pose ou posera un problème aux pharmaciens lesquels ne voudront pas avoir à effectuer de double saisie ou de disposer de données éparpillées qui ne communiquent pas entre elles. Une situation dont certains acteurs du marché estiment les éditeurs de LGO responsables, auxquels on reproche de s’abriter derrière les arguments de sécurité pour ne pas ouvrir leurs logiciels. La réalité est plus complexe, nuance Jean-Michel Monin. « Il faut respecter les droits de propriété des uns et des autres, les données de santé appartiennent aux patients, mais les pharmaciens génèrent aussi beaucoup de données, de même que les éditeurs de bases de données et l’ensemble des acteurs du marché de la pharmacie, il faut en effet que toutes ces données puissent être interopérables, et notre travail, qui est en quelque sorte celui de quincaillier, c’est-à-dire celui par lequel transitent toutes ces données, implique une politique de partenariat rigoureuse et ouverte, ce qui parfois peut entraîner une certaine ambiguïté. Nous devons nous mettre d’accord à chaque fois autour d’un cahier des charges. »
L’interprofessionnalité fera bouger les choses.
La situation n’est pourtant pas aussi bloquée qu’il n’y paraît, et ce grâce à l’interprofessionnalité qui se met petit à petit en place. Celle-ci force les différents acteurs à partager a minima un certain nombre de normes, la plupart des produits qui sortent sur le marché se doivent d’être compatibles avec le DP et le DMP, et de nombreux acteurs adoptent également la norme de messagerie MS santé, notamment pour éviter la pratique encore trop répandue d’envoi d’ordonnance par mail. Il y aura bientôt la e-prescription qui elle aussi aura un pouvoir normatif, ajoute en substance Jean-Michel Monin. Cela va constituer une sorte de socle pour faciliter les échanges entre les professionnels de santé, au bénéfice des pharmaciens qui pourront exploiter l’ensemble des données à leur disposition avec une plus grande fluidité. Aux éditeurs et aux professionnels de santé de faire le reste du chemin…
Insolite
Épiler ou pas ?
La Pharmacie du Marché
Un comportement suspect
La Pharmacie du Marché
Le temps de la solidarité
Insolite
Rouge à lèvres d'occasion