ENVIRON un kilomètre sépare la pharmacie où travaille Sophie Mimoun, 30 ans, de l'officine où s'est installé son mari. Il y a trois ans et demi, la jeune adjointe avait signé avec son employeur, en même temps que son contrat de travail, une clause de non-concurrence. « Je savais que la clause devait être rémunérée », souligne t-elle. Sans indemnisation, elle ne peut pas s'appliquer. En effet, depuis l'arrêt de la cour de cassation du 10 juillet 2002, le pharmacien titulaire doit verser au salarié une contrepartie financière, sinon la clause est considérée comme nulle.
Et c'est bien là que le bât blesse. La contrainte explique que cette disposition, insérée par le titulaire dans le contrat de travail de l'adjoint, se pratique moins aujourd'hui. Plus restreint depuis 2002, son usage se poursuit tout de même et certains adjoints signent en sachant que la disposition, n'étant pas assortie d'une indemnisation, n'est pas valable. Un arrêt de la cour de cassation du 15 mars 2006 les autorise à demander une réparation : « Le salarié qui a respecté jusqu'à une certaine date une clause de non-concurrence illicite (en raison, par exemple, de l'absence de contrepartie financière) a droit à des dommages-intérêts pour la période pendant laquelle il a respecté la clause. »
D'autres conditions cumulatives s'attachent à la légalité de cette disposition. « En règle générale, dans le droit du travail, la clause de non-concurrence doit être pertinente, c'est-à-dire indispensable à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, et limitée dans le temps et dans l'espace », explique Serge Caillier, membre du bureau section D de l'Ordre. Outre la clause, qui peut être de droit général, l'article R 4235-37 du code de Santé publique s'applique aussi quand l'officinal s'installe : « Un pharmacien qui, soit pendant, soit après ses études, a remplacé, assisté ou secondé un de ses confrères durant une période d'au moins six mois consécutifs ne peut, à l'issue de cette période et pendant deux ans, entreprendre l'exploitation d'une officine ou d'un laboratoire d'analyses de biologie médicale où sa présence permette de concurrencer directement le confrère remplacé, assisté ou secondé, sauf accord exprès de ce dernier. »
Le contrat de travail signé entre le titulaire et l'adjoint peut aussi insérer la fameuse disposition, à condition qu'elle soit assortie d'une contrepartie financière. Une décision du Conseil de l'Ordre est venue le rappeler le 28 juin 2005 dans l'arrêt Agel : « Selon la cour de cassation, la clause qui n'est pas assortie d'une contrepartie financière est nulle et ne peut produire aucun effet. »
Tenir compte de la géographie des lieux.
Le code de Santé publique fixe également la durée - deux ans - pendant laquelle l'adjoint ne peut exploiter une officine qui concurrencerait son ancien employeur. « La clause de non-concurrence constitue donc une limitation post-contractuelle à la liberté individuelle du travail du salarié car elle pose à son endroit une interdiction d'exercer telle activité professionnelle après la rupture du lien contractuel », précise Me Rodolphe Meneux, avocat spécialisé en droit social au Cabinet Fidal.
La limitation géographique n'est cependant pas établie précisément, et les conséquences diffèrent selon la situation de la pharmacie, entre les grandes agglomérations, les villes de taille moyenne et les villages. « Dans la région francilienne, par exemple, il existe une forte densité d'officines ; il faudrait être vraiment vicieux pour aller travailler à côté de son ancien titulaire », commente Annie Aucouturier, adjointe multi-employeurs. Le problème peut se poser avec plus d'acuité dans les villes plus petites ou à la campagne, où les relations entre patients et pharmaciens sont très liées à la personne. L'adjoint pourrait donc emmener les clients avec lui. Ici, l'application de la clause de non-concurrence semble s'imposer.
« S'agissant de la limitation dans l'espace, reprend Me Rodolphe Meneux, le périmètre de la commune et des communes limitrophes, ou bien de l'arrondissement dans le cas d'une ville importante, nous paraissent être suffisants compte tenu de la zone de chalandise couverte par une pharmacie. »
L'importance du dialogue avec le titulaire.
Il faut dire aussi que la distance entre deux officines n'est pas forcément significative : on peut s'éloigner de quelques kilomètres et se trouver déjà dans un autre département. « C'est le bon sens qui doit primer au moment du départ, reprend Annie Aucouturier, qui travaille actuellement à Gennevilliers. Quand on se quitte en bons termes, on n'a pas de volonté de nuire. Il faut donc dialoguer. »
C'est l'option qu'a choisie Sophie Mimoun. Lorsque son époux s'est installé à Juvisy-sur-Orge, elle a demandé tout naturellement à son employeur, situé à Athis-Mons, l'autorisation de lui apporter une aide ponctuelle, pour les gardes et pendant les vacances des employés. « Mon titulaire m'a dit qu'il était d'accord, explique la jeune pharmacienne. Il faut dire que les deux officines ne sont pas en concurrence : celle de mon mari est petite et accueille une clientèle de proximité, alors que la pharmacie où j'exerce est située dans un centre commercial et emploie une vingtaine de personnes. »
En fait, c'est le contexte économique actuel qui rend plus aiguë la question de la concurrence. Il y a un an, les offres d'emploi étaient encore nombreuses, alors que, aujourd'hui, elles se font plus rares, tandis que les licenciements économiques augmentent. « Avant, je choisissais parmi quatre ou cinq missions, maintenant quand j'en ai une, je ne regarde pas si le jour de repos me convient, je la prends, poursuit Annie Aucouturier, qui ira travailler dans le Val d'Oise à la fin du mois. Il est difficile de refuser une proposition, c'est pourquoi je pense qu'il faut appliquer la règle avec intelligence, en fonction de la géographie des lieux. »
Du côté des titulaires, justement, on éprouve des difficultés à évaluer les indemnisations. « Elles sont tellement coûteuses que de nombreuses petites entreprises renoncent à faire signer la clause à leurs adjoints », pointe Serge Caillier. Mais ces dispositions sont-elles bien primordiales pour le titulaire ? Le moment clé pour le binôme qu'il va former avec son adjoint, c'est l'embauche : lors du recrutement, il doit apprécier si la personne est digne de sa confiance. La vraie question est là, dans l'entente et l'appréciation mutuelle de l'équipe, comme le rappelle Jérôme Paresys-Barbier, président de la section D à l'Ordre national : « Notre objectif reste que les pharmaciens s'entendent entre eux, et non qu'ils montrent leurs divergences. Mieux vaut que les titulaires et les adjoints s'associent pour être plus forts, et améliorent ainsi le service pharmaceutique rendu. »
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