Au musée des Beaux-Arts de Gand, en Belgique, vient de s’ouvrir une grande exposition sur Jan Van Eyck, Primitif flamand du XVe siècle, inventeur présumé de la peinture à l’huile. Équivalent pour les pays du Nord d’un Léonard, ce peintre génial nous a légué une petite vingtaine d’œuvres, toutes extraordinaires.
La plus impressionnante est le polyptyque de L’Agneau Mystique, peint en 1432, dont les vingt panneaux sont minutieusement examinés depuis 2012 par une équipe de restaurateurs à la pointe. Ce chef-d’œuvre, peint par Jan et son frère Hubert, pour un riche échevin gantois, a de multiples fois défrayé la chronique. Plusieurs fois volé et démantelé, il est notamment connu pour avoir été l’un des trésors jalousement gardés par les Nazis dans la mine autrichienne d’Altaussee, avant d’être sauvé par les Monuments Men et ramené dans son écrin d’origine, la cathédrale Saint-Bavon de Gand - qu’il doit bientôt retrouver une fois la restauration terminée. Pour l’heure, une exposition exceptionnelle rassemble pour la première fois la moitié du corpus du peintre aux côtés des premiers panneaux de L’Agneau Mystique qui ont fait l’objet d’une restauration (ceux que l’on voit quand le retable est dans sa position fermée). Cette exposition est intéressante à plus d’un titre : parce qu’elle dévoile la touche originale du maître sous des couches de repeints qui recouvraient 70 % du retable, qu’elle replace le peintre, à la biographie très lacunaire, dans la société de son époque, la cour bourguignonne de Philippe le Bon, et parce qu’elle montre le réalisme saisissant de sa peinture à l’huile, qualifiée de « révolution optique » par le titre de l’exposition. Jan Van Eyck avait l’obsession de retranscrire sur sa toile l’exactitude de ce qu’il voyait, détails infimes et reflets de la lumière. Ce point est d’une importance capitale lorsque notre regard se promène à l’envi sur les objets peints de ses tableaux : magnifiques parures ou vêtements luxueux mais aussi objets plus prosaïques des intérieurs de l’époque. Mais pourquoi s’attarder sur Jan Van Eyck pour parler de pots à pharmacie ?
La plus ancienne représentation d’un pot à pharmacie
Parce que précisément, dans une de ses œuvres, datée vers 1430-35 et intitulée Les trois Marie au tombeau (conservée au musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam), les trois femmes, Marie-Madeleine, Marie, mère de Jésus et Marie Salomé, tiennent chacune un pot à onguent. Celui de Marie Salomé – aussi appelée Marie Myrophore c’est-à-dire « qui porte le parfum » - est en faïence bleue et blanche au décor floral, incontestablement un des plus beaux pots d’apothicaire de l’histoire de la peinture. Deux œuvres contemporaines que l’on peut citer – également à l’huile - le célèbre Triptyque de l’Annonciation de Robert Campin (conservé au Cloisters Museum de New York) et L’Annonciation de Rogier Van der Weyden (conservée au musée du Louvre) - tous les deux peintres belges de Tournai – montrent également un récipient en faïence bleue et blanche. Cependant, il s’agit de simples pichets ou vases présents traditionnellement dans les intérieurs domestiques de cette époque, et non pas de pots à pharmacie. C’est pourquoi, le pot d’apothicaire de Jan Van Eyck s’avère beaucoup plus singulier.
D’une grande fidélité par rapport aux pots à pharmacie qui faisaient le voyage du Moyen Orient vers Venise, on peut considérer qu’il est le tout premier pot d’apothicaire en faïence, de type albarello, à être représenté par un peintre (comme le prouve une récente étude du tableau). À ce titre, il est symbolique des échanges commerciaux qui existaient entre Venise, porte de l’Orient et la petite cité de Bruges, un des plus grands ports de commerce du XVe siècle. Les pots à pharmacie de cette facture servaient au transport des épices et des herbes médicinales. Avant 1440, aucune production de ce type de pots en faïence n’existait en Flandres et les pots qui commençaient tout juste à être fabriqués en Espagne (à Valence et Manisès) puis en Italie, de type hispano-mauresque, ne faisaient pas encore le voyage d’export vers le nord de l’Europe. De ce point de vue, le pot de Van Eyck vient probablement d’Orient. Le peintre, qui avait son atelier à Bruges, ayant sûrement vu des modèles similaires dans un hôpital ou un monastère, comme contenants thérapeutiques, ou bien même peut-être à la cour de Philippe Le Bon où les faïences dites de Damas étaient déjà connues et appréciées comme objets rares et luxueux. Son décor glaçuré constitué de fines tiges de feuilles bleu cobalt sur un fond blanc correspond aux faïences réalisées en Syrie, Perse et Égypte à la fin du XIVe siècle et au début du XVe siècle, des régions elles-mêmes influencées par les porcelaines bleues et blanches venues de Chine.
Représentations plus tardives
La représentation des pots à pharmacie en peinture est plutôt rare. C’est pourquoi, lorsqu’on en trouve une, c’est d’autant plus intéressant. Les peintres flamands et allemands, friands de la représentation précise des objets, en ont représenté un certain nombre. Tel un magnifique albarello de type hispano-mauresque - que l’on peut encore voir dans bon nombre de nos apothicaireries anciennes - dans le célèbre Triptyque Portinari de Hugo Van der Goes, peint quelques années après le tableau de Van Eyck et visible au musée des Offices de Florence tandis que l’allemand Lucas Cranach, au début du XVIe siècle peint une jolie Marie-Madeleine, porteuse d’un pot en faïence un peu moins réaliste (musée de Cologne).
Une des plus belles œuvres pour notre quête des pots d’apothicaires en peinture reste le magnifique tableau anonyme conservé à l’Hôtel-Dieu de Cluny et daté du XVIe siècle. Comme dans celui de Van Eyck, on y voit les trois Marie au tombeau tenant chacune un pot à onguent, l’une un pot vraisemblablement en bois, l’autre un albarello hispano-mauresque et la troisième un beau vase à onguent en faïence au décor floral bleu et jaune. Au siècle suivant, regardez attentivement les peintures assez humoristiques de David Téniers - également un Flamand ! - qui s’est amusé à mettre en scène plusieurs arracheurs de dents, qui semblent officier dans des apothicaireries pour certains. En tout cas, de beaux pots d’apothicaire sont en bonne place dans ses œuvres, dont un porte la mention « extrait de rhubarbe » (sur un tableau conservé au musée de Cassel). Plus tard, ce sont plutôt l’imagerie des intérieurs d’officine qui prennent le pas sur les représentations religieuses. La plus connue, il faut aller à Venise pour la voir, celle du peintre Pietro Longhi, fameux pour son regard sur la théâtralisation de la société aristocratique vénitienne. Pots, chevrettes et vases en faïence garnissent les étagères d’une pharmacie qui semble bien fréquentée. Les pharmacies vénitiennes étaient aussi des lieux de rencontres pour intellectuels et érudits qui en même temps se faisaient soigner !
À voir, exposition « Van Eyck, une révolution optique » au musée des Beaux-Arts de Gand jusqu’au 30 avril 2020.
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