En ce mois de bonnes résolutions et d’envie de « détox » après les fêtes de fin d’année, la pratique du jeûne, en particulier intermittent, séduit de plus en plus. Depuis les années 2000, les ouvrages sur le jeûne préventif et thérapeutique se sont multipliés en France, affichant la promesse « de maigrir, de se détoxifier ou de se soigner ».
Un nombre croissant de patients atteints de maladies graves et/ou chroniques se posent la question de l’intérêt du jeûne dans leur parcours de soins, notamment à la suite de la diffusion du documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade « le Jeûne, une nouvelle thérapie » en 2011.
Faute de filières structurées comme en Allemagne ou en Suisse, il est difficile d’obtenir des chiffres fiables sur le nombre de personnes qui jeûnent chaque année en France. Des estimations de 3000 à 5000 personnes pratiquant le jeûne non religieux chaque année circulent cependant. « Il s’agit d’extrapolations très grossières, à partir de données d’associations comme les réseaux de jeûne et de randonnée, explique le Dr Bruno Raynard, du service de nutrition de l’institut Gustave Roussy (IGR, Villejuif). Mais cette estimation est cohérente avec ce qu’observent les équipes cliniques ».
Mais qu’en est-il des preuves scientifiques ? Selon une revue très récente du « New England Journal of Medicine » (1), le jeûne intermittent améliore la régulation du glucose et réduit le risque de diabète et de maladies cardiovasculaires. Pour autant, les bénéfices du jeûne restent discutés sur le plan scientifique.
Amélioration des constantes biologiques
En 2014, l’INSERM a publié une expertise collective portant sur l’évaluation de la pratique du jeûne à visée préventive ou thérapeutique. Si des modifications métaboliques induites peuvent être favorables, « aucune donnée clinique reposant sur des essais méthodologiques rigoureux ne peut étayer aujourd’hui le bien-fondé de cette piste », peut-on lire.
Six ans plus tard, « il n’y a pas grand-chose de neuf, c’est assez décevant, déplore le Pr Bruno Falissard, pédopsychiatre, biostatisticien et co-auteur de l’expertise de 2014. Des études ont montré que le jeûne améliore transitoirement les constantes biologiques, en particulier le profil lipidique, mais rien ne montre un réel effet sur la morbimortalité ». En 2018, les auteurs d’un article paru dans la « Revue médicale suisse » parviennent à la même conclusion.
Même sur la perte de poids, les données ne sont pas probantes, comme le montre un essai randomisé (2) mené avec suivi sur 1 an. Le fait de jeûner un jour sur deux (avec 25 % des besoins énergétiques les jours de jeûne et 125 % des besoins les autres jours) n’était pas associé à une perte de poids plus importante par rapport à une restriction calorique quotidienne (75 % des besoins énergétiques chaque jour) dans une population de 100 patients obèses. De plus, les patients du groupe jeûne avaient davantage tendance à abandonner.
Jeûne et chimiothérapie
Les effets potentiels du jeûne ont également été étudiés dans diverses pathologies, dont le cancer. En 2017, le réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe) a réalisé une revue des données scientifiques et n’a pu conclure quant à l’intérêt du jeûne en prévention ou au cours des traitements.
« Le rationnel est pourtant séduisant concernant la chimiothérapie, car elle cible les cellules en division. Or le fait de jeûner met au repos toutes les cellules, sauf les cellules cancéreuses qui devraient être davantage détruites », poursuit le Pr Falissard.
Non-observance et autres difficultés méthodologiques
L’université de Leiden aux Pays-Bas a mené une étude randomisée auprès de 131 patientes atteintes de cancer du sein (3) afin d’évaluer l’effet d’une restriction alimentaire (proche du jeûne) en complément de la chimiothérapie néoadjuvante. Les premiers résultats témoignent du problème fréquent de non-observance, qui limite « notre capacité à bien comprendre le véritable effet du jeûne à court terme sur la toxicité et l’efficacité », rapportent les auteurs.
Déjà, l’INSERM soulignait la difficulté à mettre en œuvre la méthodologie des essais cliniques avec le jeûne, en raison notamment de la diversité des pratiques (cf encadré), des biais de recrutement potentiel (participants déjà convaincus de l’efficacité du jeûne ou au contraire peu enclins à s’y plier) et de l’impossibilité de réaliser des essais en aveugle.
Au-delà des considérations scientifiques, le Pr Falissard estime que « le jeûne remet en question notre rapport à l’alimentation, alors qu’aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, nous mangeons trop ».
(1) R. de Cabo R et al., N Engl J Med, doi: 10.1056/NEJMra1905136, 2019.
(2) J.F. Trepanowski et al., JAMA Intern Med, doi: 10.1001/jamainternmed.2017.0936, 2017.
(3) https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT02126449.
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