Dès la fin du mois de janvier, l’Agence nationale du médicament et des produits de santé (ANSM) va rendre public le cahier des charges auquel devront se plier les fournisseurs souhaitant participer à une expérimentation de deux ans du cannabis thérapeutique. Si le planning est respecté, les premiers patients seront inclus cet été.
Les indications retenues par l’ANSM sont au nombre de cinq : douleurs neuropathiques réfractaires, certaines formes d’épilepsie pharmacorésistantes, traitement des effets secondaires en oncologie (nausées, vomissements, anorexie…), soins palliatifs, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central. Dans tous les cas, le cannabis à usage médical sera mis en place en dernière ligne.
Il est important de faire la distinction entre le cannabis à usage médical et les spécialités pharmaceutiques ayant des cannabinoïdes pour principe actif. Ces dernières, qui contiennent du cannabidiol (CBD) et/ou du tétrahydrocannabinol (THC), ont obtenu une autorisation de mise sur le marché et sont au nombre de quatre en Europe : le Sativex (THC/CBD), l’Épidiolex (CBD naturel), le Marinol (THC synthétique) ou le Cesamet (cannabinoïde synthétique).
Les préparations au cannabis, seules concernées par l’expérimentation de l’ANSM, ne sont pas soumises au régime des Autorisations de mise sur le marché (AMM) dans les pays européens où elles sont autorisées. Dans un livre blanc publié récemment, le syndicat professionnel du chanvre suggère la création d’une agence rattachée à l’ANSM consacrée au contrôle de la culture, la récolte, le traitement, la qualité, le stockage, l’emballage et la distribution.
Une connaissance empirique
Peu d’études permettent d’établir des recommandations. « Les connaissances sur le cannabis à usage médical restent encore très empiriques, car très peu d’universitaires se sont mobilisés sur ces questions », reconnaît le Dr Olivier Bertrand, médecin généraliste et fondateur de NORML France (National Organization for the Reform of Marijuana Laws France). Les médecins francophones peuvent toutefois se référer au référentiel publié par le gouvernement canadien.
En avril 2016, une importante méta-analyse publiée dans le « JAMA » (1) a repris les données de 79 études randomisées contre placebo ou un traitement de référence, soit 6 462 patients, dans diverses indications. Le cannabis thérapeutique se distinguait dans le traitement des vomissements et nausées liées à la chimiothérapie (47 % contre 20 %) et les douleurs chroniques (37 % contre 30 %). Les niveaux de preuve étaient plus limités dans la stimulation de l’appétit des patients infectés par le VIH, le traitement de la spasticité ou des troubles anxieux.
Concernant les effets indésirables, les cannabinoïdes étaient associés à un risque multiplié par trois, et à une augmentation de 41 % pour les événements sévères (troubles psychiatriques et du système nerveux). « Quant aux surdosages, il existe un consensus fort sur le fait que les conséquences sont limitées », réagit le Dr Bertrand.
Des ratios peu communs
Le cannabis médical sera prescrit sous forme de fleurs séchées et d’extraits de cannabis, avec des ratios de cannabidiol (CBD)/tétrahydrocannabinol (THC) de 1/1, 1/20, 1/50, 5/20 et 20/1 CBD. L’ANSM a privilégié le CBD, puisque sur les cinq ratios qu’elle a retenu, le THC n’est prédominant que dans un seul. Un positionnement particulier, dans la mesure où les produits les plus prescrits à l’étranger sont THC dominants.
Le choix de la formulation et du ratio dépendra de l’indication, de la cinétique recherchée et des risques associés. Divers travaux (2) montrent que le THC est indiqué dans le traitement des vomissements, l’amélioration de l’appétit, et comme antalgique. Le CBD, un myorelaxant, est utile pour traiter les convulsions, l’anxiété et les nausées. « Le CBD a pu démontrer son efficacité avec un très bon niveau de preuve dans des épilepsies pédiatriques réfractaires souvent d’origine génétique, comme le syndrome de Dravet », ajoute le Dr Jean-Michel Delile, président de la Fédération addiction.
En ce qui concerne le mode d’administration, les formes sublinguales (gélules, huiles) ou comestibles (formes infusées dans une matière grasse comme le chocolat, par exemple) ont une action plus longue et plus tardive, ce qui augmente le risque de surdosage mais étale l’effet dans le temps. Les formes inhalées (fleurs séchées chauffées dans un vaporisateur ou liquide d’e-cigarette) ont un mode d’action plus immédiat, utile dans le traitement de la douleur.
Effet d’entourage pour la fleur
Si la fleur est retenue parmi les formulations possibles, c’est à cause de l’effet d’entourage suspecté dans plusieurs études. Les quelque 400 molécules présentes dans la plante (terpènes, flavonoïdes etc.), entreraient en synergie avec le THC et le CBD.
Cet effet d’entourage, encore mal documenté, ne s’appuie que sur des études observationnelles. Selon une méta-analyse, portant sur 670 patients (3), la prise de CBD enrichi de plusieurs autres cannabinoïdes est associée à une meilleure amélioration de symptômes de l’épilepsie que la prise d’extrait de CBD seuls.
Le cannabis a encore beaucoup à nous apprendre. En décembre dernier (4), des chimistes italiens ont ainsi identifié deux nouveaux cannabinoïdes : le Δ9-tetrahydrocannabinol et le Δ9-tetrahydrocannabiphorol (THCP). Ce dernier montre une affinité pour le récepteur THC1, responsable des effets euphorisants, 30 fois supérieur au THC.
(1) A Reiman et al, Cannabis Cannabinoid Research, Volume 2, p 160-166.
(2) S Stith et al, Scientifc Report, doi:10.1038/s41598-019-39462-1.
(3) F Pamplona et al, Frontiers in Neuroscience, doi: 10.3389/fneur.2018.00759.
(4) C Citti et al, Scientific Report, doi:10.1038/s41598-019-56785-1, 2019.
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