Il y a 4 ans, le 21 juillet 2016, décédait Luc Hoffmann, un des co-fondateurs de WWF et inlassable défenseur de la Camargue. À travers cette figure emblématique de la terre méditerranéenne, se sont exprimés deux axes d’engagements forts, l’un pour la nature, l’autre pour l’art : en 1954, il créait la fondation La Tour du Valat pour la protection des zones humides en Camargue, gardienne de la biodiversité et de la singularité de ce territoire, et en 2010, il impulsait, aux côtés d’Yvette Clergue, la création de la fondation Van Gogh à Arles qui verra le jour en 2014.
Son intérêt pour la connaissance de la faune et de la flore s’est matérialisé très tôt, d’abord lors de ses études en chimie et en ornithologie, au cours d’une recherche universitaire sur les oiseaux migrateurs, puis dans la création d’une station biologique sur l’immense terrain qu’il acquiert en Camargue ; 1 200 hectares de terres et de marais qui deviennent son terrain d’expérimentation pour mener à bien son projet de protection d’un écosystème unique contre l’agriculture intensive et la pression immobilière et qui sera à l’origine du Parc national de Camargue. Luc Hoffmann, amoureux fou et sauveur de cet espace sauvage et marécageux qu’il ne quittera plus jamais, est né en 1923 à Bâle dans une famille richissime où le mécénat est déjà une vocation et l’esprit d’entreprise un moteur. Il a de qui tenir, petit-fils de Fritz Hoffmann, l’incroyable entrepreneur qui crée les Laboratoires La Roche-Hoffmann, en 1896, et fils d’Emanuel Hoffmann, grand collectionneur d’art suisse.
Fritz Hoffmann, l’esprit d’entreprise
Après des études de commerce et un apprentissage à la banque, Fritz Hoffmann crée, avec son père, une petite droguerie à Bâle. Le nom « Roche » vient en fait du patronyme de sa femme, qu’il associe au sien, selon l’usage, même si cette dernière n’est pas impliquée dans les activités de l’entreprise. Son premier succès de vente, lancé en 1898 – et qui ne se démentira pas durant 60 ans - est celui du Sirolin, un sirop pour la toux à base d’orange dont le principe actif est le thiocol. Rapidement, Fritz comprend qu’il doit s’implanter à l’étranger et produire des spécialités pharmaceutiques en gros s’il veut devenir un incontournable du secteur. Il bénéficie d’une époque qui ne compte encore que peu de grosses firmes pharmaceutiques. Roche sera bientôt présente dans 9 pays dans les premières années du XXe siècle, dont la France.
En 1920, à la mort de Fritz, le nouveau directeur du groupe, Emil C. Barell, qui était aux côtés de Fritz depuis les débuts, doit faire face à une crise terrible qui frôle la faillite au sortir de la Grande Guerre. Il sera l’un des grands ouvriers du développement à l’international, notamment grâce à la fabrication industrielle de la vitamine C synthétisée en 1934 et utilisée à l’époque comme principe actif pharmaceutique. Suivront la vitamine B1, puis toutes les autres de l’alphabet jusqu’à l’acide folique. La manne financière des vitamines se chiffre en milliards de francs suisses et place Roche sur le devant de la scène dans les années 1990. Mais cette ère florissante sera bientôt ralentie avec l’arrivée d’autres acteurs sur ce marché qui souhaitent leur part du gâteau. Le leader mondial de l’industrie pharmaceutique se démarquera aussi en collaborant activement avec les meilleurs chercheurs et on lui doit par exemple la fabrication du Valium, suivie du développement des benzodiazépines, le développement d’agents de chimiothérapie contre le cancer, ou encore la mise au point d’appareils médicaux électroniques.
Premiers héritiers, premiers mécènes
Cette belle envolée pharmaceutique qui dure jusqu’à aujourd’hui sera accompagnée, comme son ombre, par les actions philanthropiques du couple que forme le fils de Fritz, Emanuel Hoffmann, avec la sculptrice Maja Stehlin. Celle-ci créera en 1933, en mémoire de son mari (décédé prématurément), la fondation Emanuel Hoffmann pour abriter la collection d’art qu’ils avaient constituée, puis initiera, avec son second mari, le chef d’orchestre Paul Sacher, une politique de mécénat d’entreprise pour les Laboratoires Roche dont la famille détient la majorité des parts. Paul et Maja forment un couple déterminé de l’intelligentsia bâloise. Se rencontrent chez eux Pierre Boulez, Rostropovitch, Jean Tingely ou encore Braque.
C’est Maja qui donnera l’idée de faire acheter par la firme familiale les œuvres emblématiques du style moderne de l’époque. Voilà que des sculptures de Jean Arp, Eduardo Chillida et Henry Moore viennent décorer le siège de Roche. Alors que Bâle est aujourd’hui le centre de l’art contemporain avec la grande messe annuelle de la foire Art Basel et qu’elle est également le centre névralgique de l’industrie pharmaceutique avec le siège de Novartis et de Roche - matérialisé par les 178 mètres de la Roche Tower construite en 2015, la tour la plus haute de Suisse, avant qu’une prochaine, plus haute, vienne la détrôner en 2021 - la double ascension scientifique et artistique des héritiers de Fritz semble être en parfaite adéquation avec la destinée de ce territoire.
Toute cette histoire ne pouvait se conter sans parler de la fille de Luc Hoffmann. Prénommée Maja, comme sa grand-mère, elle est aujourd’hui sous le feu des projecteurs à Arles. En digne héritière de l’entreprise, elle a engagé depuis 2014 un vaste projet de construction d’un complexe culturel en lieu et place des anciens ateliers SCNF d’Arles. Ces vastes hangars, laissés à l’abandon depuis le début des années 1980, viennent d’être réhabilités afin d’y accueillir les activités de la Fondation Luma, la fondation de Maja (créée en 2004 et qui a son siège social à Zurich). Luma Arles arrive aujourd’hui au terme de son chantier avec la fin de la construction de la colossale tour signée par l’architecte star Frank Gehry (à qui l’on doit aussi la Fondation Louis Vuitton dans le Bois de Boulogne). Cette nouvelle plateforme culturelle, dont la vocation est le soutien et la promotion de l’art contemporain (à travers plusieurs espaces d’exposition et des résidences d’artistes) s’inscrit dans la lignée familiale, celle du mécénat. Ou comment l’immense fortune héritée d’un laboratoire pharmaceutique plus que centenaire – estimée aujourd’hui à environ 28 milliards de francs suisses ! – a servi et continue de servir le développement culturel, économique et artistique de plusieurs territoires.
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