N’EST-ON PAS TENTÉ de dire que la journée de mobilisation n’a rien changé, pas plus que la précédente, celle du 29 janvier, et que, dans ces conditions, la prochaine ne changera rien non plus ? Dans cet exercice particulier, presque spécifique, de la démocratie française, il y a quelque chose de vain. Et d’encore plus vain dans son inutile récurrence.
Répondre à cette action syndicale et populaire par un simple haussement d’épaules n’en est pas moins dangereux. Le 19 mars, comme le 29 janvier, cristallisait certes des mécontentements très divers, parmi lesquels celui des enseignants-chercheurs ou des fonctionnaires ou de ceux, en général, dont l’emploi n’est pas menacé, semblent d’autant plus excessifs que leurs préoccupations corporatistes n’ont rien en commun avec la détresse de ces ouvriers de Continental ou d’ailleurs qu’on jette à la rue. Il n’y a pas d’inégalités, madame la Gauche et camarades syndiqués, qu’au niveau du bouclier fiscal. Il y en a aussi, et parfois de pires, entre métiers et entre statuts de salariés. Si je perds mon emploi, je ne me sens pas solidaire de ceux qui en ont un, et manifestent seulement pour que l’on remplace les fonctionnaires partant à la retraite.
À quoi s’ajoute la stratégie inopérante de l’opposition qui cherche moins, quoi qu’elle en dise, à obtenir la prise en compte d’un certain nombre de ses idées qu’à humilier le pouvoir. Elle contribue au blocage quand elle affirme que la racine du mal remonte au TEPA de l’été 2007, que M. Sarkozy a eu tout faux dès le début, que ses réformes ne valent rien. Le chef de l’État répond dans le même registre : il n’a pas été élu pour augmenter les impôts. N’eût-il pas mieux valu oublier la philosophie du pouvoir et les actions qu’elle lui a inspirées, et de dire : la crise et la récession ont changé la donne, limitons le débat aux vertus ou aux vices du plan de relance du début de l’année ?
Fermeté du pouvoir.
À deux ou trois reprises, nous avons suggéré au gouvernement, dans ces colonnes, de faire des concessions au nom de la détresse de beaucoup de Français et de l’inquiétude de tous. Cela ne signifie pas que l’approche « pouvoir d’achat » de la gauche et des syndicats soit nécessairement la bonne. Les conséquences négatives d’une hausse des salaires sont suffisamment répertoriées. Une hausse des impôts pour ceux qui sont à l’abri de la récession n’est pas en revanche scandaleuse car il est logique de répartir le fardeau entre tous. La proposition de Pierre Méhaignerie de créer un impôt nouveau pour les revenus les plus élevés était d’ailleurs la plus raisonnable et a fait un bout de chemin à l’Assemblée. Tout miser sur la capacité à investir, comme le fait M. Sarkozy, correspond à une excellente politique à long terme, mais aussi à un apparent manque de compassion pour ceux qui souffrent et ont besoin d’un soulagement immédiat.
La détermination de Nicolas Sarkozy et de François Fillon à ne pas céder aux revendications, leur fermeté, leur intransigeance presque dogmatique n’expriment pas leur caractère, mais une décision, prise avant le 19 mars, de vider de son sens la mobilisation d’abord, et ensuite, de laisser se fatiguer les syndicats et la partie de l’opinion qui les soutient. C’est ce qui, en langage courant, s’appelle le pourrissement. L’absence de pusillanimité du pouvoir est louable. Le risque considérable qu’il prend l’est moins. Les maux créés par la crise sont réels. On peut s’indigner de ce qui se passe à l’université, on ne peut pas ignorer la tragédie du chômage et du dénuement, l’aggravation de la misère et de la précarité, les malheurs qui frappent, avec quelle injustice, ceux qui n’ont jamais eu de répit. Sur ce substrat de douleur, la colère monte, les forces sous-jacentes du désordre s’agitent et la violence verbale de la gauche ne s’exacerbe que parce qu’elle craint justement d’être supplantée par ceux qui croient au salut par le chaos. M. Sarkozy et M. Fillon ont-ils pris toute la mesure de l’enjeu ?
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